samedi 27 octobre 2018

Les retours, le mal-être des libraires

L'un des gros avantages quand on est libraire, contrairement aux autres commerces, c'est la faculté de retour. Pour la faire simple, nous pouvons retourner tout ce que nous commandons. La seule grande exception, c'est la vente ferme, qui concerne souvent des tirages bien précis tels que des éditions limitées et ce qui touche à l'auto-édition.

Quant au reste, tout type de livre peut être retourné, et ce, à n'importe quel moment. Encore une fois, il existe des exceptions. Des éditeurs demandent parfois un délai minimum avant de retourner les invendus. Mais, techniquement, on peut retourner une nouveauté dès sa réception. Bon, je vous rassure, on n'est pas aussi con. On ne s'amuse pas à commander des piles pour avoir le plaisir de les déballer et de les remballer. La plupart du temps, c'est quand on reçoit des exemplaires complétement défoncés.

Cette faculté de retour est une particularité non négligeable dans ce métier. On peut facilement tester des choses et se laisser un peu aller. Pas trop quand même, car on paye quand même le transport. Enfin bon, ça reste très appréciable de savoir qu'il est toujours possible de retourner en cas de flop ou d'erreurs.

Le truc, et c'est là que ça se gâte, c'est qu'on retourne quelquefois des livres qui n'ont guère eu le temps de convaincre. Durant l'essentiel de l'année, à la boutique, nous retournons une BD après deux mois environ. Tout dépend évidemment des ventes sur la durée ou encore de notre avis sur l'album. Une fois que le mois d'octobre arrive, le délai se raccourcit drastiquement. On passe à un mois avant de retourner un ouvrage. En novembre, c'est pire. Plus on se rapproche de Noël et plus le délai diminue pour passer à trois, voire même deux semaines.

Pour quelle raison ? La faute à la surproduction essentiellement. Avec 5000 nouveautés en BD, il n'est pas étonnant que les retours soient conséquents. C'est accentué par le souci qu'ont les éditeurs à vouloir publier la quasi totalité de leur catalogue entre septembre et novembre. La grande partie des gros hits et des enjeux sont publiés à cette période. Pas besoin de se triturer les méninges pendant des heures pour savoir que les maisons d'édition veulent occuper un maximum le terrain aux alentours de Noël pour faire le plus de bénéfices possibles. Après tout, un éditeur, c'est aussi une entreprise.

Bon, en vrai, il y a également des auteurs qui font le forcing pour être présents à la fin d'année et vendre un maximum. Peut-on vraiment leur en vouloir ? Oui et non. Tout le monde cherche à vivre de son métier, mais il faut garder en tête que le système ne va clairement pas continuer longtemps de cette façon.

Avec une majeure partie de la production répartie sur seulement trois mois, on va arriver à une saturation du marché. On y est déjà d'ailleurs. La plupart de nos clients suivent leurs séries habituelles. À la rentrée littéraire, pas mal d'entre eux nous disent qu'ils n'osent pas se lancer dans des nouveautés, car ils ont suffisamment de collections à suivre. Régulièrement, on plaint les nouveaux auteurs qui sont lancés à ce moment-là. À moins qu'ils n’aient une bonne campagne promotionnelle ou un bon bouche à oreille, ils sont souvent oubliés. Il n'est pas rare que des clients achètent ainsi des sorties de novembre courant janvier ou février. Certaines nouveautés de fin d'année trouvent alors une seconde chance, mais ça reste globalement exceptionnel.

Par conséquent, on opère de plus en plus de retours d'ouvrages que nous n'avons pas eu le temps de lire. Pas le choix, il faut faire de la place pour les vingt cartons de nouveautés qui arrivent presque chaque jour. Le ridicule atteint son sommet quand on est contraint de virer une BD pour mettre une pile d'un album du même éditeur ou groupe. Les plus grosses maisons s'auto-concurrencent. Peu importe, il faut occuper l'espace.

Mais vous savez quoi ? Le pire dans tout ça, c'est que bon nombre d'ouvrages sont pilonnés. Ne croyez pas que tout ce qui est retourné aux éditeurs est forcément stocké. C'est rarement le cas. Pourquoi ? Le stockage coûte trop cher. Du coup, une partie des retours est remise dans le circuit, mais quand il s'agit d'un titre ayant fait un flop, un éditeur préfère souvent pilonner son ouvrage, et ce, quitte à le réimprimer plus tard. Ça lui coûte moins cher de cette façon. Vous le sentez l'immense gâchis ?

L'année passée, alors que je faisais de la place pour des nouveautés de novembre, je me suis subitement arrêté dans la réserve. J'ai posé mon énième pile de retour par terre et j'ai regardé les nombreuses autres mises ici ou là. Je ne m'inquiétais pas pour l'avenir de mon emploi. Notre taux de retours est dans les 20% en moyenne, ce qui est très satisfaisant. Non, je me suis simplement demandé à quel gaspillage je participais. Car, oui, toute la chaîne du livre est responsable de cette situation. Les éditeurs sont souvent pointés du doigt, mais il n'y a pas qu'eux.

Pour tenter de pallier un peu à la situation, du moins à notre niveau, nous avons décidé depuis quelques mois de serrer la vis auprès des représentants. Grosso modo, ce qu'on avait tendance à prendre par deux ou trois exemplaires, nous décidons de ne plus les commander. Tout dépend du sujet et de notre feeling, mais nous devenons de plus en plus sélectif.

Le choix devient une nécessité pour éviter de se retrouver avec une librairie submergée. Choisir, c'est une chose, mais il faut éviter le surplus, qui peut effrayer le client. C'est loin d’être une mince affaire, car en tant que librairie spécialisée BD, nous devons représenter la richesse du secteur. Mais trop, c'est trop. Il est important de tirer le signal d'alarme. Ainsi, ils nous arrivent de zapper des titres ou d'en prendre moins que ce que les chiffres des représentants indiquent. À l'inverse, on se permet de suivre des enjeux de manière plus assidue et d'en prendre davantage sur des titres qui nous ont tapé dans l’œil. Prendre moins, mais de manière plus ciblée.

Il n'y a pas de solution miracle pour l'instant. Malgré notre sélection un poil plus drastique, nous n'évitons toujours pas les retours conséquents d'ouvrages qu'on a à peine posé et qu'on n'a même pas pu lire. On en vient ainsi à une autre question. Vaut-il mieux laisser sa chance à tout le monde au risque de retourner abondamment ou faut-il condamner un titre dès le départ sans lui laisser une chance ? Vous avez trois heures. Personnellement, je n'ai pas de bonne réponse.

samedi 6 octobre 2018

Bonjour, vous avez la BD Petit Paul ?

Oula. Presque un mois sans nouvelle note. Décidément, difficile de trouver un rythme. Est-ce si grave ? Non. Voilà. C'est ce que j'appelle une belle introduction de merde. Pas sûr que le reste soit plus intéressant. Tant pis. J'ai envie d'écrire.

Par contre, c'est quoi ce titre putaclic ? Comment ? Vous n'êtes pas au courant de la dernière polémique ? Tant mieux. Non, ce titre n'a pas pour but de créer un buzz. De toute façon, la fameuse affaire Vivès n'est déjà plus d'actualité. Et puis, si j'avais voulu faire des vues, je n'aurai pas ouvert un blog en 2018. Je me serai filmé dans ma chambre avec un chaton dans les bras pour donner mon avis. Mais comme on dit, les avis, c'est comme les trous du cul, tout le monde en a un.

J'ai hésité avant d'écrire cette note, car je ne voulais pas créer de débat stérile. Enfin bon, vu mon audience toute relative (qui me va très bien), c'est déjà me donner trop d'importance. Néanmoins, si j'ai créé ce blog, c'est pour partager ma vie de libraire selon mes envies et mon humeur. Du coup, parlons de Bastien Vivès.

Contrairement à ce que vous pouvez peut-être penser, un libraire ne connaît pas personnellement les auteurs. Ça peut arriver, mais quand on entre dans ce métier, on n'obtient pas un carnet d'adresses magique avec les contacts de toute la profession. 

Je ne connais pas Vivès et je ne l'ai jamais rencontré en salon ou ailleurs. Quant à son travail, je n'en suis pas personnellement fan. Je n'ai jamais lu Polina, je n'ai pas adhéré à Lastman, et Le chemisier m'a fait chier. Cependant, j’avais plutôt apprécié Une sœur. Cet auteur est comme beaucoup d'autres. Il veut raconter des choses à sa manière. Ça plaît ou non. C'est comme tout. 

Il faut noter quand même son attirance pour les grosses poitrines et ses multiples fantasmes. En soi, rien de méchant. On a tous des désirs coquins plus ou moins avouables. Le truc, c'est que Bastien Vivès aime les mettre en avant dans ses œuvres. Je n'ai pas lu énormément d'interviews de lui, mais il est évident qu'il aime jouer avec les tabous et les sujets qui fâchent. Quant à savoir si ses propos sont vraiment ce qu'il pense, c'est plus difficile à dire. Il y a sans doute une volonté de faire grincer des dents. Ou pas. On ne peut pas vraiment savoir sans le connaître.

Toujours est-il que sa bande dessinée Petit Paul fait parler pas mal de monde. Cette dernière a lancé la nouvelle collection pornographique, Porn'Pop, de chez Glénat. Un second ouvrage, Les joies du sex-toy et autres pratiques sexuelles de Mathew Nolan et Erika Moen, fut lancé en même temps. Curieusement, tout le monde s'en branle. (Humour.) Toute l'attention s'est focalisée sur Petit Paul.


Pour la faire courte, Petit Paul est une compilation d'histoires sur un gamin d'environ 10 ans possédant un pénis de 50 cm. Le tout est fait de manière grossière, burlesque et est à prendre au 36ème degré. C'est très con, et ça n'a pas spécialement d'intérêt à mes yeux. L'auteur a certainement voulu s'éclater en parlant de sujets sensibles tels que le viol, la pédophilie, la zoophilie et j'en passe. La BD va plutôt loin, mais toujours avec un humour très bas du front.

Bref, cet album vendu sous cellophane et clairement déconseillé à un jeune public a été victime d'une furie sur les réseaux sociaux. Je passe les détails, mais il y a actuellement une pétition signée par plus de 2600 personnes réclamant l'interdiction du bouquin. Sérieusement ? On signe encore des pétitions en 2018 ? Sérieusement ? On tolère encore la censure en 2018 ? Sérieusement...

Je peux comprendre que Petit Paul puisse choquer. Mais, bon dieu, je ne comprends pas qu'on en fasse une affaire d’État. Surtout qu'il n'y a pas eu 2600 ventes du livre. Encore une fois, la plupart des gens se sont contentés d'extraits et de suivre un mouvement sans se forger leur propre avis en lisant le livre. C'est ce que j'ai fait. Je l'ai lu. Et franchement. Qu'est-ce qu'on en a foutre au final de Petit Paul ?

Oui, les sujets abordés sont dégueulasses. Pourtant, c'est faire preuve d'une sacrée mauvaise foi que de croire que Vivès est le premier dans ce cas. Je n'imagine même pas le nombre de BD pornos abordant le viol, la zoophilie ou encore la pédopornographie. Globalement, le hentai n'a rien de très catholique, tout comme beaucoup d'autres livres pornographiques. Il y a même des bouquins non pornos, qui montrent des choses particulièrement dures. Or, on ne dit rien. De plus, le personnage de Petit Paul fut déjà utilisé par Vivès dans Les melons de la colère de la collection BD Cul des Requins Marteaux. Même chose, aucune polémique à ma connaissance. Pourquoi ? Serait-ce parce que dans ce dernier, c'est la sœur de Petit Paul qui se fait violer et pas lui ? En quoi est-ce moins choquant qu'un enfant se faisant abuser par sa maîtresse ? Dans les deux cas, c'est horrible.

Prenons un autre registre. C'est comme lorsque la presse sort qu'un attendant a causé la mort de X enfants et femmes. Et les autres victimes, on s'en moque ? Ça me rappelle aussi l'intervention d'un homme du théâtre dans mon ancien lycée. Il nous expliquait qu'on ne disait rien quand on montrait le côté d'un sein, mais que c'était toute une affaire quand on osait montrer le téton. 

Avoir deux poids et deux mesures, c'est clairement la politique qui est appliquée pour Petit Paul. On juge cette BD affreuse sans la lire et sans prendre en compte le reste de la production. La BD porno regorge de choses très limites (ce qui n'en fait pas un mauvais genre pour autant).

Et puis, que faut-il dire de toute la violence gratuite qu'on trouve ailleurs ? Dernièrement, DC Comics s'est auto-censuré en effaçant le sexe du Chevalier Noir dans Batman : Damned, qui inaugure le Black Label de l'éditeur. Le but de cette collection est d'accorder une plus grande liberté aux artistes au sein d'un catalogue strictement déconseillé aux jeunes. Hélas, la maison d'édition a préféré censurer le kiki de Batou, mais pas la violence. L'excuse avancée fut que le sexe de Bruce Wayne n'apportait rien à l'intrigue. Dans ce cas, le sang non plus.

Je ne comprends pas cette différence de traitement entre le sexe et la violence en général. Dans tous les cas, il faut faire attention au public auquel on s'adresse.

À nouveau, Petit Paul (qui est déjà en réimpression grâce à cette affaire assez conne) est vendu sous cellophane et n'est pas mis dans une collection jeunesse ou je ne sais quoi. Non, c'est une création pornographique clairement identifiée. Elle n'aurait connu qu'un succès modeste comme beaucoup de BD de cul à la différence près qu'il y a le nom de Vivès. Maintenant, elle s'arrache, et c'est peut-être tant mieux. La censure ou la volonté de censurer n'arrange jamais rien. Au contraire.

Dans notre boutique, nos exemplaires furent achetés par des clients adultes curieux de cette polémique et désirant se faire leur avis. C'est une bonne chose. Pourquoi ? Parce que cette affaire, la pétition et mon avis, on en a rien à foutre. L'important, c'est de se faire son propre jugement, ce qui peut sembler assez dingue à notre époque. Mais, croyez-moi, essayez de vous forger le vôtre. Vous verrez, ça rend un peu moins con.

lundi 10 septembre 2018

Excusez-moi, j'y comprends rien à votre classement

L'une des principales caractéristiques des libraires, c'est leur passion du classement. On aime ranger. En même temps, pour éviter d'avoir une boutique en bordel au bout de deux jours, difficile de ne pas être un tant soit peu organisé. Soyons clair tout de suite, il n'y a aucun agencement parfait. Pour un libraire, il faut que son mode de rangement soit pratique pour lui, mais aussi pour ses clients afin que ces derniers puissent se repérer facilement. L'équilibre n'est pas forcément évident à trouver, et il ne faut pas avoir peur de tout chambouler.

C'est l'idée que j'ai eu avec le coin manga du magasin. Dernièrement, j'ai visionné une vidéo réalisée par Sita Tout Court sur la boutique Le Renard Doré, une librairie spécialisée dans le manga et la culture japonaise située à Paris. Parmi les propos du gérant, j'ai été sensible à son point de vue sur le classement par type de manga qu'on a pratiquement tous tendance à prendre en référence. Il s'agit de les répartir par seinen (public adulte), shonen (public adolescent) et shojo (public féminin).


Cette dernière catégorie m'a toujours hérissé le poil, mais, globalement, ce type de classification me paraît complétement idiot. (Non, je ne m'excuserai pas auprès des amateurs, mais je les embrasse quand même.) Le souci, c'est qu'il enferme les lecteurs de manga dans des catégories en grande partie à cause de leur sexe. Pas besoin de sortir de Saint-Cyr pour dire à quel point l'idée est conne. 

Prenez les shojos Sakura et Sailoor Moon, dont les animés ont été vus par pas mal d'hommes. Des titres ayant toutes les caractéristiques d'un shojo sont aussi parfois classés en shonen par les éditeurs eux-mêmes comme A Silent Voice. (Certes, le héros principal est un homme, mais toutes les autres caractéristiques de la série la rapprochent d'un shojo.) De plus en plus de titres sont d'ailleurs publiés par les maisons d'édition dans des catégories qui ne nous semblent pas être la meilleure. GTO et Hokuto no Ken sont par exemple mis en shonen. Dernièrement, il y a L’atelier des sorciers et The Promised Neverland, qui sont respectivement considérés comme un seinen et un shonen. Or, selon moi, leur catégorisation aurait dû être inversée. (En tout cas, pour les tomes actuellement disponibles.)

Bref, je vais arrêter là, car je pense que vous avez compris où je veux en venir. Cette répartition par genre n'a pas lieu d'être. Tout le monde se doit d'être libre de lire ce qu'il lui plaît, et ce, peu importe ce qu'il est. Évidemment, il faut également veiller à la limite d'âge pour certains titres.

De ce fait, je me suis dit que l'idée du libraire du Renard Doré, à savoir de ranger simplement par catégories était la meilleure solution. Le problème, c'est qu'après une rapide analyse du stock, je me suis rendu compte que ça donnerait d'immenses rayons pour les thématiques aventure et fantastique. Quant aux autres, ce serait une étagère ou deux, voire même des moitiés de rayon. Ce ne serait pas l'idéal visuellement parlant. Du coup, avec le big boss, on a décidé simplement de tout ranger par ordre alphabétique en séparant l'érotique et le kodomo (manga pour tous petits) du reste.

Ainsi, plus de barrière idiote avec un quelconque classement genré. De toute manière, le grand public ne sait pas ce qu'est un seinen, un shonen et un shojo. Quant aux connaisseurs, ils s'en moquent pour la plus grande majorité. Ils achètent des titres qui les intéressent et non parce qu'ils appartiennent à tel ou tel type de manga.

D'après les discussions que j'ai pu avoir avec quelques clients, notre démarche est la bonne, et j'espère qu'elle conviendra à un maximum de monde.

Oui, j'aime bien laisser des petits mots doux aux clients ;)
Comment ? Ah oui, ça a été un sacré boulot de tout reclasser. Mais... Euh... Comment dire... C'est le big boss qui s'en est chargé. Attention, quand j'ai eu l'idée, j'étais prêt à me charger complétement du rangement, mais le chef s'y est plongé corps et âme. Je n'ai pas voulu lui prendre sa place, et il a préféré me laisser la réception les cartons. Je ne sais pas qui de nous deux s'est fait le plus couillonner dans l'histoire. Toujours est-il qu'on a un nouveau classement pour nos mangas et qu'on est vachement content. Par contre, le grand manitou m'a fait savoir que je devais me calmer sur les idées à la con, qui prennent des plombes à mettre en place. Je vais y réfléchir. (On y croit.)

lundi 3 septembre 2018

La fois où j'ai donné cours en fac

Il faut savoir laisser le temps au temps. Mais il ne faut pas non plus abuser des bonnes choses. Prenez cette note, qui traîne depuis trop longtemps dans mes brouillons. Plus j'attends et plus j'ai tendance à m'étaler. Par conséquent, avant que ce post ne rattrape la longueur d'un rouleau de PQ (Ça fait combien de mètres, d'ailleurs ?), passons au sujet du jour. Je vais vous raconter une petite histoire. L'histoire d'un petit libraire, qui a donné cours à l'université. Au final, ça tombe bien, aujourd'hui, c'est la rentrée des classes. (Désolé pour les concernés.)

Comme j'ai déjà pu le dire auparavant, j'ai un master en littérature de jeunesse, à savoir un BAC +5. Dis comme ça, ça peut paraître plus ou moins incroyable, mais ne vous y trompez pas. Avoir un niveau universitaire n'a rien d'insurmontable (j'ai même raté mon BAC une première fois), et ce n'est pas en accumulant les années d'école que vous serez garanti d'avoir un boulot. Pour être libraire, finalement, toutes les formations ou presque peuvent convenir. Le plus important reste la passion du livre et les stages pour emmagasiner l'expérience. Le reste viendra avec le temps.


Malgré tout, ma formation universitaire reste un bon souvenir de ma scolarité. J'ai pu faire de chouettes rencontres et appris des tonnes de choses (que j'ai oublié depuis en grande partie). L'un des avantages était le nombre important d'exposés, ce qui m'a permis d'explorer plusieurs facettes de la bande dessinée. J'ai par exemple pu analyser une planche de La jeunesse de Picsou et réalisé mon mémoire sur l'état actuel de la censure des comic books. Je ne m'en suis pas trop mal sorti (un joli 16 pour le dit mémoire) et j'en ai tiré une petite fierté à l'époque. (C'est assez rare que je sois satisfait de moi. Demandez à mon boss.)

Fin 2017, le responsable du master, Laurent Déom, m'a contacté pour me proposer d'animer deux  séances de quatre heures auprès de sa nouvelle promo en première année. Sans doute grâce aux retours des élèves et des tuteurs de stage, il s'est rendu compte que la formation manquait cruellement de contacts avec la réalité du terrain. (C'est le souci d'une grande partie des formations.)

Comment vous dire ? J'étais un peu stressé à l'idée d'accepter. Certes, j'étais ravi de cette possible expérience, qui me permettrait de boucler la boucle en quelque sorte. Mais je ne suis pas professeur et je me demandais si j'allais être capable de pondre un exposé suffisamment intéressant pour les étudiants. Là, il ne suffirait pas de parler de mon métier et/ou de présenter une succession d'ouvrages comme j'avais déjà pu le faire en collège.

Heureusement, Monsieur Déom a su me rassurer (en partie) lors de notre entretien téléphonique en janvier dernier. L'idée était de parler des tendances actuelles en bande dessinée jeunesse pour permettre aux élèves d'avoir une vision plus proche de ce qui se fait aujourd'hui. C'est donc par ce point que j'ai débuté mon premier cours le 30 mars dernier.

I'm back in school !
Préalablement, je me suis présenté. J'en ai profité pour faire un peu d'humour afin d'enlever une majeure partie du stress que j'avais accumulé la veille au soir et le matin. Coup de bol, le premier groupe était très sympathique et rigolait de bon cœur. (Promis, je ne les ai pas menacé.) J'ai enchaîné sur les tendances en BD. J'ai commencé par évoquer celles que l'on trouve en BD adultes (zombies, western, SF et historique) en précisant l'aspect cyclique, et que c'est un coup de poker pour les éditeurs que de parier sur un genre. Si ça fonctionne, on a une surenchère d'ouvrages par la suite, car les maisons d’édition espèrent toutes avoir une part du gâteau. J'en suis arrivé à la jeunesse, qui n'a pas réellement de genre dominant actuellement. Par contre, les séries mettant en avant des groupes d'enfants se multiplient (Les légendaires, Mythics, Seuls, etc). Le manga continue aussi de cartonner, mais cela fait tellement d'années que ça dure qu'on ne peut plus vraiment parler de tendance à ce niveau. J'en ai profité pour évoquer la multiplication des adaptations BD de romans jeunesse (Bjorn le morphir, La quête d'Ewilan, Les filles en chocolat, etc), ce qui peut créer des passerelles pour attirer les enfants n'aimant pas lire.

De là, j'ai continué par le rôle du libraire face à ces tendances. Il est important de ne pas en faire l'impasse. Ce n'est pas en vendant uniquement ce que l'on aime qu'on peut réussir en étant commerçant. C'est complétement utopique et naïf de penser ainsi. Il faut savoir faire le tri et oser dire stop aux représentants nous dévoilant des tonnes d'ouvrages sous prétexte que le genre qu'ils exploitent cartonne. Comme tout, il y a un moment où la saturation est présente. Cela fait partie de notre rôle de le sentir et de ralentir les choses pour ne pas dégoûter les lecteurs et accentuer une profusion de livres déjà trop importante.

J'ai justement poursuivi sur la surproduction occasionnée en partie par les tendances. J'ai couplé ce point avec la situation difficile des auteurs. Au-delà du nombre de 5000 nouveautés publiées par an en BD (dont la majeure partie sort entre septembre et décembre), j'ai encouragé les élèves à regarder le reportage Sous les bulles (2013), qui résume bien la situation du secteur.



L'une des phrases que j'ai cité de cette enquête est celle de Claude de Saint Vincent, PDG de Dargaud de l'époque :
« Il n'a jamais été aussi facile pour un jeune auteur de se faire éditer et jamais aussi difficile de trouver des lecteurs. »
Selon moi, elle synthétise parfaitement la situation délicate des auteurs. J'ai ainsi pu enchaîner sur la polémique du Livre Paris, qui ne voulait plus payer les auteurs pour les conférences, ateliers et débats. Certes, l'issue fut finalement positive pour la profession, ce qui ne m'a pas empêcher de dire un mot ou deux sur les dédicaces non rémunérées. On a tendance à penser que c'est un bon moyen pour l'auteur de se faire de la publicité gratuite. Pourquoi faudrait-il le payer ? En plus, il est nourri et logé la plupart du temps. C'est gentil, mais vous diriez quoi si vous passiez des heures à dessiner pour des inconnus, qui vous font parfois des demandes alambiquées et qui revendent vos création sur eBay ensuite ? La plupart d'entre nous ne tiendrait même pas une heure. Je parlerai de ce sujet plus longuement dans une future note, mais ça fait partie des problèmes des auteurs BD.

Bref, c'est en évoquant l'isolement des auteurs, qui les empêche de pouvoir se faire entendre sur la durée, que j'ai clôturé mon premier cours. J'ai dû le refaire au second groupe, ce qui fut assez étrange. Au-delà du fait que les étudiants étaient moins nombreux et plus passifs (il faut les comprendre, on était vendredi en fin d'après-midi), j'ai eu l'étrange sensation de me répéter continuellement. Par moment, je ne savais pas si ce que je disais avait été dit au premier groupe ou il y a cinq minutes. Je ne sais pas comment les profs parviennent à se répéter inlassablement tout au long de l'année. L'habitude, sans doute.

Quinze jours plus tard, me revoici à Lille 3 pour la seconde et dernière partie de mon exposé. Pour débuter, j'ai comparé le public en BD et en jeunesse, qui est très différent. Chez Aventures BD, l'essentiel de notre clientèle est composée d'hommes, qui achètent pour eux-mêmes. En librairie spécialisée jeunesse, le public est essentiellement féminin et achète pour quelqu'un d'autre. C'est une différence importante à avoir en tête et qui influe sur la profusion de conseils que les libraires peuvent donner. Globalement, nous ne sommes pas les plus submergés en librairie BD. La plupart du temps, on nous demande les nouveautés à ne pas rater et ce qui est à lire dans un genre spécifique. Néanmoins, il nous arrive régulièrement d'avoir des demandes de lectures pour des enfants (en particulier à Noël). C'est un peu triste à dire, mais beaucoup se contentent de nous donner l'âge et le sexe de l'enfant. Le premier est évidemment important, mais j'avoue accorder que peu d'importance au sexe du lecteur. Je me contente d'enchaîner en demandant ce qu'il aime. Et là, on me sort souvent la réponse toute faite qu'on n'en sait rien, que le gosse est à fond sur sa tablette ou je ne sais quelle excuse. Je sais qu'on ne peut pas tout suivre. Mais est-ce si compliqué de questionner l'enfant ou ses amis sur ses intérêts ? On aime tous forcément quelque chose, et ce n'est pas parce qu'on est jeune que nos goûts sont malléables à volonté. Mais passons. J'ai précisé qu'on n'agissait pas de la même façon selon le client, et qu'il y a une confiance à avoir, qui vient avec le temps. J'estime qu'il faut donner un contenu adapté à un jeune lecteur, mais aussi quelque chose qu'il aime et non que le personne qui va lui offrir pourrait apprécier. Vous vous en doutez peut-être, mais j'ai ressorti mon exemple du gamin voulant acheter The Walking Dead. Ça a choqué les étudiants, et j'étais content de les faire réagir.

Cette partie terminée, j'ai pu enchaîner sur ce qui m'a donné le plus de plaisir. Déjà parce que je savais à quoi m'attendre grâce aux étudiants particulièrement réceptifs qui m'ont mis en confiance. Ensuite, j'avais l’attention de leur parler d'un sujet qui me tient à cœur : la BD genrée. (Oui, j'avais envie d'entrer un peu dans le lard.) La dernière fois, j'avais teasé la chose en évoquant la polémique sur le livre On a chopé la puberté.


Pour résumer, suite à des extraits sortis hors de leur contexte sur les réseaux sociaux, ce livre fut retiré de la vente par Milan. Notez que l'ouvrage fut distribué à 5000 exemplaires (ce qui ne veut pas dire 5000 ventes) et que plus de 140 000 personnes ont signé une pétition pour qu'il soit retiré du commerce. (On peut parler de volonté de censure à ce niveau.) Un rapide calcul de primaire fait facilement comprendre que pratiquement aucun détracteur n'a lu le livre incriminé. Du coup, j'ai révélé aux étudiants que j'avais fait une chose incroyable. Quelque chose de complétement fou à notre époque. J'ai lu l'ouvrage pour me faire mon propre avis. (Désolé pour les âmes sensibles.) Même s'il est vrai que quelques passages sont critiquables, ils relèvent plus de la maladresse qu'autre chose. Il aurait suffi à Milan de retirer la première édition pour en ressortir une version corrigée. Car pour 90% du guide, c'est complétement inoffensif et bienveillant. Mais bon, on préfère s'acharner sur ce titre et ses autrices plutôt que sur... hum... je ne sais pas... ah oui ! Le fameux Dico des filles de chez Fleurus, qui a droit une nouvelle édition chaque année pour continuer de répandre clichés sur clichés. Heureusement, la version 2018 contient l'avis des garçons. Tout va bien. (Sérieusement ? On en est là ?) Je vais arrêter de m'étendre, sinon, ça risque de durer encore des plombes. Toujours est-il que mon auditoire fut globalement tout aussi consterné. Mon but n'était pas de les joindre à ma cause. J'ai voulu leur montrer les bienfaits et méfaits des réseaux sociaux dans la littérature, et ce, tout en les invitant à se faire leur avis.

J'ai poursuivi sur l'évolution ou non des stéréotypes genrés en BD. On constate une meilleure mise en avant d’héroïnes ne se contentant pas d'être des nunuches à gros seins. De vrais personnages complexes émergent, et ça fait du bien. Hélas, certains éditeurs continuent de nous abreuver de clichetons tenaces avec des couvertures roses bonbons à paillettes ou de collections spécialement pour filles. Il y a le cas du shojo en manga, qui donne l'impression que les femmes sont cantonnées à lire de la romance. Mais ne jouons pas les révolutionnaires de bas étage. Comme j'ai pu le dire, beaucoup de titres très genrés ne font pas grand mal. Il n'y a rien de mauvais à ce qu'une fille aime la romance et qu'un gars veuille du combat. Mais il ne faut pas empêcher l'inverse de se faire.

Pour conclure mon cours, j'ai tenu à parler de la condition des autrices de bandes dessinées. Elles représenterait 27% de la profession. Ça ne paraît pas si mal, mais il faut reconnaître que très peu sont mises en avant. Comme exemple de ce manque de considération, j'ai évoqué la polémique de 2016 du FIBD, qui n'a pas jugé bon de sélectionner des autrices parmi les 30 nominés pour le fauve d'or. Selon l'organisation, il n'y a pas eu assez de femmes ayant marqué la profession. (Ah, oui, d'accord. Tout va bien. Bordel.) Heureusement, il faut reconnaitre une certaine évolution, notamment dans la montée d'ouvrages à vocation féministe (Culottées, Idéal standard, Un autre regard, etc). C'est une bonne chose, surtout quand le message se veut réfléchi et non simplement un matraquage pour vouloir imposer des idées. Dans tous les cas, l'excès n'a jamais du bon.

Bon, au final, que retenir de cette expérience ? Globalement, les étudiants ont été très réceptifs à ce que j'ai voulu leur transmettre et les nombreux exemples d'ouvrages que j'ai pu leur apporter. Je ne sais pas si cela aura un quelconque impact sur la suite de leurs études ou leur façon de voir les choses, mais un dialogue a pu s'instaurer. Ils ont été curieux et étaient demandeurs en informations diverses. Tout au long de mes cours, j'ai parlé de ma propre expérience dans leur master afin de les rassurer un peu. Il est loin d'être parfait et assez chronophage (comme la plupart des formations), mais il a la chance d'avoir des professeurs à l'écoute et de permettre d'étudier plus profondément des domaines qui nous plaisent au travers de pas mal d'exposés. Cependant, comme j'ai tenu à leur préciser, personne ne les attend à la sortie du master. Ils vont devoir se bouger, cultiver leurs spécificités propres, et ce, sans oublier leur curiosité pour trouver leur place en librairie. J'espère qu'ils y arriveront.

D'un point de vue personnel, j'ai tout simplement adoré donner cours de cette manière. J'ai l'impression d'avoir enfin pu remercier la formation qui m'a en partie permis d'en être là où j'en suis aujourd'hui. Je dois avouer que je serai partant pour remettre le couvert l'année prochaine si le responsable du master en ressent le besoin. En tout cas, les étudiants lui ont apparemment dis qu'ils avaient beaucoup aimé mon intervention. (Braves petits.)


Hum ? Comment ? Il y a un épilogue à ce post bien trop long ?! (Le suspense de dingue.) Courant juillet, j'ai reçu un nouvel appel de Monsieur Déom. Pour sa promotion 2018-2019, la plaquette de la formation a été revue et corrigée. Ainsi, le cours de librairie sera réalisé désormais par deux professionnels du milieu, à savoir deux des intervenants du début d'année. Pas besoin de vous faire un dessin pour vous aider à comprendre, je suis l'une de ces personnes. Pour cette nouvelle année scolaire, je serai donc professeur le temps d'un trimestre. Je parlerai plus tard des cours, mais je suis plus que ravi de prolonger l'expérience. Je crois que c'est la première fois que j'ai autant hâte de faire ma rentrée des classes. Comme quoi, tout arrive.

dimanche 26 août 2018

Vous en avez pensé quoi du tome 54 de Naruto ? Euh...

Pour faire suite à mon précédent article sur l'impossibilité de pouvoir tout lire quand on est libraire, il faut que je vous parle des suites. Vous vous en doutez peut-être, mais s'il est difficile de suivre le rythme des nouveautés, il est tout aussi compliqué, voire plus, de suivre des séries entières.

Ainsi, il est déjà arrivé que des clients me demandent mon avis sur tel ou tel volume. C'est principalement le cas avec les lecteurs de mangas. Certains grands passionnés souhaitent parfois savoir ce que j'ai pensé d'une scène ou d'une page dans un numéro X ou Y d'un titre récemment paru. 

À nouveau, je vais sans doute en décevoir, mais le libraire n'a guère le temps de suivre toutes les séries. Dans le milieu du livre, on a même tendance à le qualifier de spécialiste du tome 1. On en lit énormément pour rester connecter à l’actualité et conseiller le mieux possible avec une sélection variée. En plus de devoir faire un choix dans nos lectures, cela implique de tirer un trait sur bon nombre de suites. 

Est-ce que ça signifie qu'on n'en lit jamais ? Vous connaissez déjà la réponse. (En tout cas, je l'espère.) Évidemment que nous en lisons. Il faut garder une part de plaisir dans la lecture, ce qui passe par suivre une poignée de séries que nous avons particuliérement apprécié. 

Certes, lire par exemple la trentaine de volumes de The Walking Dead, cela n'apporte rien commercialement parlant (à l'exception du fait qu'on est tous plus ou moins d'accord pour dire que ça commence à traîner sérieusement en longueur cette affaire). Mais si on aime la série, on aurait tord de ne pas en profiter, même s'il faut savoir faire des choix encore une fois. 

De plus, lire plusieurs tomes peut aider à se faire un avis plus éclairé sur un titre où on est resté mitigé. Dans mon cas, je sais que je dois lire les volumes suivants de Saga et de Lastman. Leur tome 1 ne m'a jamais convaincu, mais connaissant l'enthousiasme général pour ces ouvrages, je pense qu'il serait bienvenue de leur donner une seconde chance. Après tout, il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis. Non ?

Sur ce, je vous laisse, j'ai encore une sacrée pile de nouveautés à lire qui m'attend.

Ce n'est pas la taille qui compte comme on dit.

samedi 18 août 2018

Comment ? Vous n'avez pas tout lu ?

Histoire de reprendre tranquillement le rythme du blog, parlons à nouveau d'un sujet léger. Après tout, c'est toujours l'été avec son soleil et sa transpiration des aisselles. Hum... Sérieux, ai-je dit ? Mouais. Bref.

Quand vous travaillez en librairie, il faut suivre le rythme des parutions en lisant un maximum de choses. Cela vaut pour les nouveautés, mais également pour le fonds. Être calé sur l'actualité est une chose, mais savoir conseiller sur des séries terminées, entamées et des classiques est tout aussi important.

On peut s'en passer, mais difficile de rester un minimum convaincant en bande dessinée si on avoue ne pas connaître Astérix, Blake et Mortimer ou Tintin. Après, ces exemples sont tellement ancrés dans la culture populaire qu'on peut s'en sortir sans les avoir lu. Mais bon, vous voyez l'idée.  

Il est primordial de cultiver sa curiosité quand on est libraire. Il ne faut pas se contenter de son genre de prédilection, ce qui ne sous-entend pas de le mettre de côté. Dans mon cas, je suis devenu passionné par la bande dessinée via le comics. Avec les années, c'est un genre où je suis devenu à l'aise. Pour mon patron, ce n'est pas trop son truc. Il est davantage attiré par la BD franco-belge. Il y a aussi la différence de générations qui joue. Nous n'avons pas été marqué par les mêmes titres. Du coup, nous sommes assez complémentaires.

Nous ne nous reposons pas sur nos lauriers pour autant et nous n'hésitons pas à piocher chacun dans des genres où nous sommes moins à l'aise. Je lis ainsi régulièrement des polars et des BD historiques comme d'autres styles. Pareil pour le grand manitou. Nous n'avons pas nécessairement les mêmes avis ou le même enthousiasme sur des lectures communes, mais ce n'est pas plus mal. L'objectivité, ça n'existe pas.

Avec tout ça, est-ce que nous avons tout lu ? Évidemment que non. Je sais, ça peut faire un choc et casser le mythe du libraire lisant derrière sa caisse toute la journée. Vous êtes tellement loin de la réalité si vous pensez que c'est le cas. Hormis durant l'été, et encore, nous n'avons tout simplement pas le temps de lire au travail. On enchaîne les albums chez nous tout au long de la semaine. 

Mais vous savez quoi ? Même si nous pouvions trouver le temps de lire au boulot en plus de le faire en dehors, on ne pourrait pas être calé sur tout. Pour rappel, rien qu'en bande dessinée, il y a 5000 nouveautés par an. C'est humainement impossible de tout connaître. 

Par conséquent, il arrive qu'un client demande si on a lu telle nouveauté. Forcément, le hasard étant un drôle de blagueur, il s'agit pile-poil du livre qu'on n'a pas lu. Par contre, ce qui se trouve sur le reste de l'étagère, c'est le cas. Peu importe, la personne veut notre avis sur ce titre précis. Parfois, elle enchaîne les demandes sur plusieurs albums qu'on n'a pas parcouru. (Ils en ont des problèmes ces libraires, non ?)

Je ne vous cache pas, c'est frustrant au départ. À mes débuts (oula, ça sonne vieux), j'avais l'impression de ne pas être compétent. Heureusement, la confiance vient avec le temps. (Même pour moi !) On relativise et on se rend compte qu'on ne peut pas être partout. Lire de tout, certes, mais en préservant le plaisir de la lecture, ce qui passe par quelques pauses. Il ne faut pas en avoir honte. Le métier de libraire ne se résume pas à la lecture. Il est polyvalent et comporte pas mal de manutention. Ce n'est pas parce qu'on ne lit pas qu'on ne travaille pas. (Tiens, on dirait un slogan politique.)

Ce que mes quatre premières années dans ce métier m'ont notamment appris, c'est de ne pas hésiter à dire qu'on n'a pas lu tel ou tel ouvrage. C'est gênant au début, mais au fur et à mesure, on parvient à tourner ça à la rigolade, tout en faisant comprendre à la clientèle la masse importante de sorties. Dans la quasi-totalité des cas, les gens comprennent. Pour les autres, ils s'en remettent. Et puis, il y a des astuces pour pallier au manque de temps de lecture. Être à l'écoute des avis de ses confrères et de ses clients est sans doute le meilleur moyen de parvenir à conseiller un minimum. 

Pour finir, j'espère ne jamais dire un jour que j'ai tout lu. Ça signifierait l'absence de surprises à l'ouverture de cartons. Savoir qu'il y a une richesse quasiment inépuisable en BD est un carburant quotidien à la boutique. C'est ce qui me donne la gnaque de continuer ce boulot pour faire de belles découvertes que j'aurai plaisir à partager, et ce, même si je dois parfois dire que je n'ai pas lu certaines parutions. Ce n'est pas grave.

samedi 11 août 2018

Sinon, vous restez ouvert cet été ?

Après trois semaines en Nouvelle-Zélande, l'heure de la reprise a sonné. Je ne vous cache pas qu'il y a pire que de reprendre le boulot en août. En librairie, c'est simple, c'est quasiment le calme plat entre juillet et août niveau sorties. Pour ce qui de la bande dessinée, la pause estivale démarre après la semaine de la Japan Expo début juillet, où nous recevons un dernier gros arrivage de mangas. Ensuite, il ne faut pas compter avant la mi-août au moins pour revoir débarquer des nouveautés.

Soyons franc, ce calme fait du bien, même si tous les clients ne sont pas forcément ravis. De toute manière, difficile de satisfaire tout le monde. Quand il y a trop de sorties, ça se plaint de ne pas pouvoir tout suivre, et quand il n'y pas de nouveaux albums, ça se plaint de ne rien avoir à se mettre sous la dent. 

C'est faux. La période des vacances d'été est justement idéale pour s'attarder sur des nouveautés que l'on n'a pas pu suivre à cause du rythme effréné des éditeurs. La clientèle est plus prompte à s'attarder sur des choses qu'elle ne voit pas forcément d’ordinaire. De plus, c'est le bon moment pour poursuivre ses suites de séries en toute tranquillité.

Illustration tirée de la couverture du journal Spirou N°3931.

De l'autre côté de la caisse, on ne va pas se mentir, cela nous permet de réaliser un bon chiffre en cette période. Elle reste quand même la plus calme de l'année, mais ce serait dommage d'être fermé. Quand mon cher big boss était seul, c'était le cas pendant environ un mois. Après tout, ce n'est qu'un homme, et ce, même s'il était parfois appelé Superman par des confrères. (Il a le triomphe modeste.) Plus sérieusement, c'est normal de se prendre une poignée de semaines pour se reposer.

Depuis que nous sommes deux, c'est plus simple de ce côté-là. Je pars en juillet, tandis que le chef part en août. C'est équitable, et tout le monde est content. La boutique tourne ainsi toute l'année, ce qui apporte un gain financier non négligeable au magasin. 

Et puis, même s'il n'y a aucune réception ou presque de nouveautés, il reste de quoi faire, à commencer par les réassorts, qui arrivent chaque jour. Il faut bien renouveler le stock au fur et à mesure du flux de clients. Ce que j'aime aussi durant cette période, c'est réorganiser la boutique. C'est tout bête, mais le fait de bouger certaines choses peut déclencher des ventes. Dernièrement, j'ai réagencé l'espace des nouveautés manga en enlevant la table que nous avions mis pour accueillir le surplus de sorties dû à la Japan Expo. Des bouquins présents sur table depuis presque un mois se sont ainsi vendus. C'est magique.

Sinon, j'ai le temps de flâner entre deux vagues de clients. J'en profite pour lire un peu en boutique, ce qui est l'une des rares fois dans l'année. Le calme tout relatif me permet également d'écrire. J'ai donc pu pondre cet article de reprise. (Ne me jugez pas. Je bosse quand même !) 

Tiens. Ça me rappelle quand Christophe m'avait demandé de le remplacer durant l'été peu de temps après mon stage. Ma première expérience sans filet, car il partait à l'autre bout du monde. Comme vous pouvez vous en douter, j'étais stressé. Ajoutez à cela que je devais poursuivre la rédaction de mon mémoire de fin d'études en parallèle. Mais bon, au final, ce fut bénéfique. D'ailleurs, ce mois-ci, je vais fêter mes quatre ans en tant que libraire. Ça me filerait presque la larme à l’œil.